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L'Édito

Les proies : phase IV.

L'Édito

Les proies : phase IV.

Chères spectatrices, chers spectateurs,

La première phase de cette série sur la prédation est Les Proies, le nouveau Sofia Coppola où elle nous plonge avec un soldat blessé dans le huis clos d’un pensionnat de jeunes filles pendant la Guerre de Sécession. La deuxième arrive avec Upstream Color, un film de Shane Carruth dont les personnages sont les proies d’un mal étrange et métaphysique venu du parasite d’une plante. Jeudi de cette semaine, le Ciné-club des Écoles fait sa rentrée avec un modèle de la dialectique traqueur-traqué : La Nuit du chasseur, unique chef d’œuvre de Charles Laughton, présentée par la critique Sandrine Marques. Ce troisième temps de prédation annonce le suivant : Phase IV, film mythique réédité sur copie neuve cette semaine, où Saul Bass nous annonce comment nous, les tout-puissants Humains, pourrions devenir les victimes des minuscules fourmis. Superbement glaçant. Heureusement, certains de nos précédents films permettent de se détendre un peu. Pas Fight Club, bien sûr, mais on rira avec le cycle Buster Keaton, rire qui se teintera de jaune avec Le Privé et Wilson, on rêvera de Lost City of Z, on sera touchés par Certain Women et on comprendra le spleen des jeunes filles avec le cycle Sofia Coppola.

C’est toujours un plaisir étrange de revoir La Nuit du chasseur, seul film réalisé par l’acteur Charles Laughton, et interprété par un terrifiant Robert Mitchum, pasteur mais surtout prédateur de deux enfants qui fuient dans un décor d’une beauté fantastique. Jeudi à 20h30, pour sa première soirée de la saison, le Ciné-club des Écoles a invité la critique Sandrine Marques afin de présenter ce film. Et comme il y a beaucoup à en dire, elle animera aussi le débat qui suivra la projection et nous accompagnera certainement boire un dernier verre au Grand Bar.

Il y a deux façons de regarder les fourmis : avant d’avoir vu Phase IV, ou après. Saul Bass, mort en 1996 à 76 ans, est un graphiste formé au Brooklyn College où il découvre le Constructivisme et le Bauhaus. Il devient publicitaire, et part monter son propre studio à Los Angeles. Dans la capitale du cinéma, il rencontre Otto Preminger en 1954 afin de concevoir l’affiche de Carmen Jones. Le réalisateur est tellement séduit par l’approche symbolique du graphiste, en rupture totale avec les standards de l’époque, qu’il lui demande de travailler sur le générique du film, puis sur celui de l’Homme au Bras d’or et de tous ses films suivants. La modernité du travail singulier de Bass attire d’autres grands réalisateurs : Hitchcock (pour le générique de Vertigo et le story-board de la scène de la douche de Psycho), Kubrick (les combats de Spartacus) et Wise pour l’ouverture de West Side Story. Scorsese, cinéaste phare de la génération suivante, fera aussi appel au talent de Bass pour ouvrir GoodfellasCape Fear et Casino, sa dernière œuvre. Bosser avec les plus grands donna naturellement des envies de réalisation à Bass. Il obtint l’Oscar du meilleur court-métrage documentaire pour Why Man Create en 1969 et, fort de ce succès, s’attaqua à Phase IV, qui sortit en 1974 et fut couronné du Prix du Jury au Festival d’Avoriaz. Fiction faussement documentaire, le film raconte l’étude par deux scientifiques d’une colonie de fourmis qui, influencées par le cosmos, deviennent de redoutables prédatrices. Le travelling sur les insectes assimilant l’insecticide jaune demeure (de notre point de vue) l’une des plus grandes scènes du cinéma. Ce film exigeant, avare de dialogues et parfois psychédélique, ne rencontra pas le succès escompté par son réalisateur, qui retourna à ses génériques. Dommage car Phase IV est pourtant une œuvre unique et majeure, sommet d’un artiste qui eut les mains libres pour aller au bout de son délire. Nous sommes ravis de le ressortir sur copie neuve grâce au distributeur Swashbuckler, d’autant qu’on ne l’a pas vu depuis 35 ans ! Frissons…

On ne va pas vous rappeler les autres films à l’affiche cités en début de lettre, si ce n’est le surprenant Upstream Color qui mérite vraiment d’être découvert, et presque conclure avec les deux séances de Miss Peregrine, de Tim Burton, proposées par l’Enfance de l’Art. Presque, car Mathieu voulait vous dire un mot après nos vœux de « bonne semaine ».

Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du GrandAction


Au milieu de tous ces films à l’affiche, il y a une aventure qu’on en retire. Depuis presque onze ans, à la caisse ou en cabine de projection, je vous ai croisés, spectateurs du quartier et cinéphiles de partout, habitués des salles Langlois et Ginet que je dirigeais comme adjoint d’Isabelle Gibbal-Hardy.
Nos relations se sont nouées autour d’un avis sur un film brièvement jeté du guichet ou au cours de longues conversations dans le couloir après une séance.
De nouvelles aventures s’ouvriront à moi. C’est pour les susciter que je m’en vais mais nous continuerons de nous voir, assis côte à côte dans l’une ou l’autre des salles du Grand Action.

Mathieu Guetta