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L'Édito

O.C.N.I.

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O.C.N.I.

Chères spectatrices, chers spectateurs,
Qu’ils soient volants ou cinématographiques, il est des objets non identifiés. Et indubitablement, Les Petites Marguerites, film réalisé par la Tchécoslovaque Vera Chytilova en 1966, mérite ce qualificatif d’Objet Cinématographique Non Identifié. D’une certaine manière, La Vénus à la Fourrure, le nouveau Polanski, pourrait prétendre au titre. Il y avait de la folie derrière le mur, et Roman l’a gardée en lui. Ces deux œuvres composent notre semaine, qui sera illuminée par la présence d’une des Petites Marguerites mercredi soir.

Il régnait à Prague une ambiance un peu folle en ces années 60. Si le peuple, comme partout dans les pays satellites, pliait sous la férule du « Grand Frère », un vent contestataire, voire libertaire, soufflait sur la capitale de la Tchécoslovaquie. Quelques cinéastes de la Nouvelle Vague tchèque, parmi lesquels Milos Forman pour ne citer que le plus connu, tentaient des expériences cinématographiques, vécues par Moscou comme autant d’actes subversifs. Pourtant, le pays tout entier rêvait d’émancipation et, avec l’arrivée du « socialisme à visage humain » incarné par Alexandre Dubcek en janvier 68, il crut même que ce grand soir de liberté était venu. On sait hélas que l’utopie ne dura que ce que durent les roses (en l’occurrence les Marguerites) et que l’entrée des chars russes en août mit un terme brutal à l’aventure, plongeant le pays dans une nouvelle nuit soviétique. Les Petites Marguerites est aujourd’hui le symbole de cette parenthèse enchantée. Styliste, artiste, féministe, Vera Chytilova le réalisa avec les moyens du bord (l’alternance de noir et blanc et de couleurs est plus due à la disponibilité de la pellicule qu’à une volonté artistique) mais avec une totale liberté. Liberté partagée avec ses deux personnages, Marie 1 et Marie 2, une blonde et une brune, qui s’amusent à provoquer les hommes pour mieux les éconduire, puis s’attaquent à tous les symboles et les blocages de leur petit monde engoncé. Outre celles des deux comédiennes, il y a dans ce film une fraicheur, une vitalité, une spontanéité absolument réjouissantes. Ça part un peu dans tous les sens, mais ça casse les codes de la narration et de la bienséance, et puis l’image est fort belle et la musique expérimentale. Vera paya cher d’avoir outrepassé  les bornes, et dut se faire oublier avant de retrouver une caméra. Mais elle nous laisse cet étrange film, que Jitka Cerhova, la Marie brune, viendra nous présenter mercredi soir à 20h. La rencontre se poursuivra autour d’un cocktail, en présence du distributeur Malavida, que nous remercions.

L’autre film de notre programme de la semaine, c’est bien évidemment La Vénus à la Fourrure, où Roman Polanski s’amuse à adapter une pièce de théâtre lointainement inspirée par l’œuvre éponyme de Sacher-Masoch. Film sur le théâtre (et aussi la domination, la manipulation, la possession), cette Vénus est tout sauf du théâtre filmé. Même si tout se passe dans le huis clos d’une salle de spectacle, le talent de Polanski et sa maîtrise de la caméra lui permettent de sortir du cadre. Servie par deux comédiens impeccables – Mathilde Seignier, épouse et muse de Roman, et Mathieu Amalric, qui interprète une sorte de double du réalisateur – La Vénus à la Fourrure procure une jubilation brillante par renversement, dès lors que la fausse bécasse prend le pouvoir sur le supposé meneur. C’est fin, drôle et malin, à l’image donc de Polanski.

Deux films, et hop ! nous voilà déjà à la fin de la lettre et à l’Enfance de l’Art. Et dimanche, cette enfance nous convie dans le monde merveilleux de Jean Cocteau. Il y a deux types de gens : ceux qui ont vu les chandeliers humains inventés par le cinéaste poète, et ceux qui vont avoir la joie infinie de les découvrir dans La Belle et la bête. Et ils ne les oublieront jamais la musique visuelle ce conte magique.
Bonne semaine.

Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action