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L'Édito

La fin de tout

L'Édito

La fin de tout

Chères spectatrices, chers spectateurs,

Ça fait deux semaines que l’on vous en parle, mais ce coup ci, c’est bon : la fin du monde est pour bientôt. Et Abel Ferrara la fête avec beaucoup de finesse dans son dernier film 4:44, Dernier Jour sur Terre. Il était annoncé par notre cycle, Dernières séances avant probable fin du monde, qui se poursuit cette semaine. En attendant cette fin du monde, la fin d’année est aussi proche. On pourra la célébrer gravement devant Piazza Fontana, la rigoureuse enquête de Marco Tullio Giordana ou avec Fear and Desire, les débuts de Stanley Kubrick.

Que ferez-vous de vos dernières heures, avant que la planète n’explose ? L’amour ? De la peinture ? Un shoot ? Un bridge ? Lancerez-vous un cri d’amour à vos proches ? Faut il tout brûler ou partir en paix ? Voilà l’argument du nouveau film d’Abel Ferrara, 4:44, Dernier Jour sur Terre qui sort opportunément deux jours avant l’apocalypse programmée par les Mayas. C’est le terrible documentaire d’Al Gore (Une Vérité qui Dérange) qui a inspiré à Ferrara et son producteur cette réflexion intimiste sur le sens de la vie. Skye et Cisco, alias Shanyn Leigh et Willem Defoe, attendent l’aube fatale dans leur loft new yorkais. Elle, bouddhiste, poursuit sa peinture, skype sa mère (la rare et famous Anita Pallenberg) pour lui dire qu’elle l’aime et semble sereine. Lui, pragmatique, tourne en rond, voit le monde qui s’écroule et revient à ses anciens démons. Le couple se retrouve en faisant l’amour. « Meurt-on seul ou avec quelqu’un ? » demande Ferrara, qui oublie là ses frasques foutraques et ses bouffées violentes. Il nous interroge dans ce film délicat, un quasi huis clos définitif, sensible et désespéré, qui touche au cœur. Bien loin des films catastrophes convenus sur l’apocalypse, menés à grand renfort d’effets spéciaux, cataclysmes ou invasions extraterrestres, Ferrara se concentre sur la fragile intimé d’un couple. Mais ce couple là pose les questions essentielles face à l’inéluctable. «4:44 n’est pas un film de plus sur l’apocalypse, mais le plus beau jamais réalisé sur l’apothéose » écrivent à son propos les Cahiers du Cinéma. On n’est pas certain du sens de cette phrase, mais c’est très joliment dit. Et sans doute assez vrai.

L’apocalypse est bien sûr le thème de notre cycle Dernières séances avant probable fin du monde. Elle est aussi une apothéose dans le magnifique Melancholia, de Lars von Trier. Elle n’est pas dénuée de grâce dans Le Monde, la Chair et le Diable de Ranald MacDougall, ni de poésie dans Les Derniers Jours du Monde, œuvre des frères Larrieu ou Strange Days, de Kathryn Bigelow. En revanche, point de lyrisme dans la sombre pluie qui tombe sur The Hole, de Tsai Ming-Liang ou les collapses informatiques de Kaïro, de Kiyoshi Kurosawa. Un autre film de Ferrara, New Rose Hotel, complète ce cycle qu’il a inspiré.

A l’affiche aussi, le dernier opus, rigoureux et grave, de Marco Tullio Giordana. Dans Piazza Fontana, il démonte l’implacable mécanisme d’un attentat qui, le 12 décembre 1969 à Milan, plongea l’Italie dans la terreur. Film somme et film enquête, Piazza Fontana est une magnifique reconstitution de cette époque troublée où l’espoir d’un monde meilleur s’évanouissait dans la violence. Il y a beaucoup de sincérité dans l’écriture, la mise en scène, et l’interprétation de ce film historique, que l’histoire retiendra. Elle retient aussi que 1953 est l’acte de naissance cinématographique d’un auteur majeur. Stanley Kubrick signait alors son premier long métrage, Fear and Desire, quasi inédit en France jusqu’à cette année. Un film serré autant qu’étrange, déjà gouverné par le point de vue unique et le talent formel du jeune Kubrick, qui n’avait que 25 ans.

Dimanche (si les Mayas se sont trompés), vous pourrez encore voir Looper, le thriller futuriste de Rian Johnson, et Cinq Burlesques de Chaplin, Keaton et Bowers, sélectionnés par l’Enfance de l’Art.

La semaine prochaine, débutera un cycle consacré à Quentin Tarantino et ses influences. Tout ça pour vous préparer au choc de Django Unchained, son prochain film, un western spaghetti bolognaise déglingué et réjouissant, à venir en janvier. On s’en reparlera.

Passez de bonnes fêtes.

Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action