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L'Édito

Fin du monde.

L'Édito

Fin du monde.

Chères spectatrices, chers spectateurs,

Vous n’êtes pas sans savoir qu’il s’agit peut-être de notre dernière lettre puisque, d’après les mayas et les médias, l’apocalypse est annoncée pour le 21 décembre. Profitons donc bien de nos ultimes moments au cinéma, avec notre cycle Dernières séances avant probable fin du monde. Un autre mois de décembre, celui de l’année 1969, est aussi à marquer d’une pierre noire. Le 12, une bombe explosa dans une banque milanaise de la Piazza FontanaPiazza Fontana, c’est aussi le titre de la dernière œuvre de Marco Tullio Giordana, film-enquête scrupuleux et brillant sur ce drame qui marqua la fin de l’innocence en Italie. Autre apocalypse, celle des soldats perdus de Fear and Desire. Sauf que cette fin du monde fut la naissance d’un grand cinéaste : Stanley Kubrick. Pour continuer sur notre lancée définitive, signalons aussi que deux événements ponctueront cette dernière semaine. Samedi à 20h, nous recevrons le Festival Paris Baroque, et Jean-Marie Straub viendra nous présenter sa Chronique d’Anna Magdalena Bach. Mardi 11 à 20h, ce sera au tour du Ciné-Club Positif de nous donner La Meilleure façon de Marcher, très beau film du regretté Claude Miller. Il sera présenté par Olivier Curchod, rédacteur de la revue, en présence de Luc Béraud, coscénariste de Miller. Si tout se passe comme prévu, ce sera la dernière séance au Grand Action. Il était temps d’apprendre à marcher.

C’était donc bien il y a 33 ans, le 12 décembre 1969, à 16h37, qu’une bombe explosa dans la Banque Nationale d’Agriculture de la Piazza Fontana, à Milan. L’attentat, qui tua 17 personnes et en blessa 88, est considéré comme le point de départ des années de plomb italiennes lors desquelles Brigades Rouges et néo-fascistes rivalisèrent dans l’horreur. L’enquête menée par le commissaire Calabresi s’orienta vite vers les groupuscules anarchistes, notamment celui de Giuseppe Pinelli qui mourut lors de sa garde à vue. Cette mort arrangea bien les autorités qui y virent un aveu de culpabilité. Pourtant, Pinelli était innocent. Voici l’une des rares certitudes de cette sale affaire car, pour l’heure, la lumière n’a jamais été faite sur l’attentat de la Piazza Fontana. A la manière d’un Rosi, mais avec encore plus de scrupules et de soucis de précision, Giordana explore la genèse et les dessous de la tuerie. Son film-enquête, méticuleux et formidablement interprété, mêle habilement fiction et documents d’époque. La mort y est omniprésente, mais toujours hors-champ. Comme si le réalisateur, plus que montrer, voulait démontrer. Démontrer que l’histoire est complexe et que beaucoup de ses acteurs n’ont aucun intérêt à ce qu’elle soit connue. Un film nécessaire pour comprendre l’histoire récente de l’Italie, dont Giordana est un fin connaisseur.

Il plane un parfum de fin du monde dans Fear and Desire, premier film inédit en France de Stanley Kubrick. Ses soldats perdus loin de leur base errent dans un désert d’incommunicabilité. Un film étrange et déjà fascinant, où l’on sent la patte du génie naissant. Prenez une heure pour venir voir Fear and Desire (le film ne dure que 61 minutes) et vous aurez alors l’impression (réelle) de mieux connaître et comprendre ce grand cinéaste.

L’apocalypse est annoncée. Elle est, avec son avant et son après, un thème tentant pour le cinéma. Et c’est celui de notre cycle Dernières séances avant probable fin du monde, où nous verrons quelques films apocalyptiques. Chaque réalisateur la traite à sa manière, avec poésie comme les frères Larrieu dans Les Derniers Jours du Monde, comme une farce qui vire au tragique dans l’incroyable Melancholia de ce grand cinglé de Lars von Trier, comme une lutte impitoyable pour la survie dans La Route, de John Hillcoat adapté de Cormac McCarthy. Le sujet laisse aussi une grande liberté, dont profite Abel Ferrara dans New Rose Hotel ou Kathryn Bigelow dans Strange Days. Deux cinéastes donnent le point de vue asiatique – et sombre – sur le thème : dans The Hole, de Tsai Ming-Liang, une épidémie s’abat comme une pluie noire sur Taïwan, tandis que le Japonais Kiyoshi Kurosawa mène une enquête fatale dans Kaïro

Signalons en quelques lignes que vous pouvez encore voir Ace in the hole, une remarquable dénonciation des médias signée Billy Wilder et Looper, un thriller d’anticipation bien tortueux de Rian Johnson. Egalement au programme des séances jeune public. L’une pour l’inusable To Be or not to Be, de Lubitsch, organisée par Lycéens au Cinéma ; l’autre sous la houlette de l’Enfance de l’Art, avec un bon vieux Hitchcock, Une femme disparaît. Souhaitons que les Mayas se soient plantés et que notre monde ne fasse pas pareil.

Bonne semaine.

Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action