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L'Édito

Films noirs.

L'Édito

Films noirs.

Chères spectatrices, chers spectateurs,

Une fois n’est pas coutume, le Grand Action réserve ses salles à trois films d’un seul cinéaste. Spike Lee, ardent défenseur de la cause noire, est l’unique vedette de nos écrans, sur lesquels triomphe BlacKkKlansman, son nouvel opus couronnée d’un Grand Prix du Jury au dernier Festival de Cannes. Nous sortons cette semaine Miracle à Santa Anna, réalisé en 2008 mais inédit en France pendant que la copie restaurée de Do the Right Thing poursuit sa carrière.

Celle de Spike a vraiment débuté avec ce fameux Do the Right Thing, réalisé en 1989, où il interprétait l’un des rôles aux côtés de Joie, sa sœur, Samuel L. Jackson et John Turturro. Dans ce film choral où la canicule écrase les rues populaires de Brooklyn et exacerbe les tensions, Spike Lee parlait déjà de la discrimination dont sont victimes les Afro-Américains. Ce sera une constance. Plus souvent radical à la manière de Malcom X que pacifiste comme le Docteur King, le réalisateur va explorer ce thème par tous les biais que lui propose sa caméra. En 30 ans, Spike Lee a connu de belles réussites, quelques succès, des trous d’inspiration et pas mal de bides ; il a parfois déçu, mais souvent convaincu, et toujours animé la polémique, même de façon quelquefois discutable. Il n’empêche qu’il n’a jamais rien lâché, construit une œuvre passionnante, fait son job de citoyen-militant, et que c’est un plaisir de le revoir sur le devant de la scène cinématographique avec son très réussi BlacKkKlansman.

On connait l’incroyable histoire, pourtant vraie et tirée de la biographie de son auteur. Ron Stallworth – interprété par le convaincant John D. Washington, fils de Denzel – est un flic noir. Engagé en 1978 dans le commissariat bien blanc de Colorado Spring, il va infiltrer le Ku Klux Klan  avec la complicité d’un collègue juif (Adam Driver) pour les rencontres en direct !  Si Spike refuse que l’on parle de comédie, BlacKkKlansman est hautement réjouissant, prenant notamment un malin plaisir à ridiculiser les suprématistes dont l’insondable bêtise suffit à prouver qu’ils sont plus les héritiers idiots d’une nauséabonde idéologie que les preux chevaliers de leur « race blanche ». Mais si l’on s’amuse beaucoup à entendre Ron se lancer dans des diatribes effroyables pour convaincre le chef du KKK qu’il est vraiment un abruti raciste, on frémit au moment où Harry Belafonte raconte avec émotion le lynchage d’un jeune noir en 1916. Cette séquence est habilement montée en parallèle avec une projection privée où l’on acclame les exactions du Klan qui était à la même époque mis en scène par Griffith dans Naissance d’une Nation. Ce monument controversé du muet n’est pas la seule citation cinématographique de BlacKkKlansman, qui s’ouvre sur un extrait d’Autant en emporte le vent, un classique partiellement « responsable de la persistance de la mentalité raciste en Amérique », selon Spike (cité par Première). Pour appuyer son propos – il n’a jamais peur de le faire – le réalisateur termine son film en empruntant d’autres images à l’actualité du drame de Charlottesville.

Dans le même esprit référentiel, Spike Lee ouvre son Miracle à Santa Anna par un extrait du Jour le plus long, où le colonel John Wayne emmène ses GI’s vers la victoire. Il faudra un peu de temps pour comprendre cette citation, incipit d’une fable qui débute comme un thriller, flirte avec le film noir et le mystère, avant de devenir un film de guerre, mis en scène comme un western teinté de blaxploitation, pour se terminer en film de procès. Réalisé en 2008 mais inédit en France, Miracle à Santa Anna est un film de genre qui se joue des genres tout en en adoptant les codes avec une certaine virtuosité. Car l’histoire que le réalisateur veut raconter rend hommage aux Buffalo Soldiers, surnom des soldats afro-américains de l’US Army. Voila donc les quatre survivants d’une escouade décimée qui recueillent un gamin traumatisé et trouvent refuge dans un village toscan déchiré par la Seconde Guerre Mondiale. Si le film n’évite pas certaines lourdeurs, il est porté par un sujet beau et poétique, et une réalisation assez impressionnante. Enfin visible en France, il résonne en cohérence avec l’œuvre et l’engagement de son auteur et éclaire une page méconnue de l’histoire.  

Il ne reste que peu de place pour l’Enfance de l’Art. Qu’elle nous pardonne. Et nous aurons plaisir à voir avec elle l’hilarant étudiant Buster Keaton au College mercredi à 10h30 et les épatants scouts de Moonrise Kindom méticuleusement mis en scène par Wes Anderson dimanche à 14h.

Bonne semaine à tous et bonne rentrée aux enseignants et leurs élèves.

Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action.