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L'Édito

Martin au cinéma.

L'Édito

Martin au cinéma.

Chères spectatrices, chers spectateurs,
Comme le prénom de Scorsese se prononce Martine et que la presque intégralité de nos écrans lui est consacrée, ça fait un titre assez drôle qui évoque une série de livres d’images enfantines, délicieusement traditionnelles et naïves au point d’être aisément détournées. Donc, dans le sillage d’Hugo Cabret, son premier film en 3D, surfent presque tous les grands longs métrages de Martin Scorsese. Trois séances ont réussi à s’immiscer dans le monopole scorsesien : La Mouche, dont Cronenberg filme le terrifiant bourdonnement, Deep End, l’indéboulonnable swingin’depress London de Skolimowski et le « souvent imité-jamais égalé » King Kong de Schoedsack, proposé par l’Enfance de l’Art.

Reprenant à son compte un aphorisme en forme de conseil carriériste de King Vidor, le réalisateur de Duel au Soleil et à ce titre l’un de ses maîtres, Scorsese fait « un film pour lui et un film pour les studios ». Evidemment ces deux catégories sont perméables. Si l’auteur-réalisateur peut tenter des propos, des points de vue, des convictions, et obtenir la liberté de tourner à son gré, c’est aussi parce que les films du « director » lui en laissent les moyens. Et si ceux que lui commande la machine hollywoodienne sont aussi riches et talentueux, c’est parce que le créateur prend le temps d’expérimenter.
Il fallait évidemment le soutien des grands studios aux producteurs de Hugo Cabret, menés par la GK films de Graham King. Ainsi adoubé par le système, GK, qui suit Scorsese depuis Gangs of New York, put se lancer dans cette reconstitution en féérie et en 3D du Paris des années 30 et du cinéma de Georges Méliès. Heureuse concession au financement pharaonique de cette super-production, il s’agit d’un conte pour enfants ! Mais Scorsese a sut profiter de ce brillant divertissement pour rendre un hommage au cinéma des pionniers, utiliser le relief pour inventer un régal visuel, offrir un rôle merveilleux à Ben Kinsley, permettre à Sacha Baron Cohen de quitter son registre burlesque trash, découvrir deux charmants jeunes comédiens, participer à la diffusion de la cinéphilie et réaliser 2 heures de bonheur tout public.

Avant d’en arriver à la très encombrante liberté d’être aux manettes d’Hugo Cabret, Scorsese s’était fait les griffes. Formé dans les salles de cinéma populaires de Little Italy et à la prestigieuse New York University, il est très tôt remarqué par ses ainés et pairs ; par les producteurs du Nouvel Hollywood comme par les réinventeurs du cinéma de la côte est (Casavetes, Coppola), mais aussi par les vieux filous (Corman qui lui commande Bertha Boxcar) et la critique ; rapidement, le public suivra, dans la plupart des cas.
Après Who’s that Knocking at my Door, presque un film de fin d’étude, il découvre De Niro dans Mean Streets, et rencontre Jody Foster dans Alice n’est plus Ici. Leur réunion dans Taxi Driver couronnera le réalisateur. Après The Last Waltz, dernier concert de The Band, avec Dylan et Clapton, il tourne beaucoup avec De Niro, enchaîne avec une nuit new yorkaise de cauchemars After Hours, avant de le retrouver en parrain mafieux dans les Affranchis, en tueur psychopathe dans Les Nerfs à Vif, et en maître de jeu dangereux dans Casino. Après cette période meurtrière et tendue, Scorsese se tourne vers la sérénité en racontant l’histoire du 14e Dalaï-Lama dans Kundun. Il retrouve vite la violence urbaine dans l’ambulance de A Tombeau Ouvert (Bringing out the Dead, très beau titre emprunté aux Monty Python) scénarisée par Schrader et pilotée par Nicolas Cage. Débute alors la période DiCaprio, le plus célèbre rescapé du naufrage du Titanic. Apportant son statut de nouvelle star planétaire à Scorsese, le jeune Léo apprendra son métier d’acteur avec ce mentor. Vengeur un peu léger face à la monstruosité de Daniel Day-Lewis dans la furieuse bataille des Gangs of New York, il esquisse un convainquant, mais encore un peu vert, Howard Hugues dans le très réussi et spectaculaire Aviator, avant de trouver de l’épaisseur et de la fragilité dans son rôle de flic des Infiltrés et d’atteindre à ce jour l’un de ses sommets d’interprétation dans le très tordu Shutter Island. Comme il avait structuré le génie instinctif de De Niro, Scorsese a contribué au triomphe critique de DiCaprio. Au delà de ces deux comédiens emblématiques, il est fort probable, et beaucoup le reconnaissent, que Martin ait fait grandir tous les acteurs qu’il a dirigés. D’ailleurs, ne fait-il pas de nous de meilleurs spectateurs ?
Bonne semaine.

PS : retenez la date du 3 février à 20h, où Abel Ferrara et Shanyn Leigh viendront présenter Go Go Tales, dont ils sont respectivement réalisateur et actrice. Ça devrait valoir le détour. On s’en reparle.

Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action